ANTONIN SPACE MOUTON - tapuscrit (démo)

1. Voilà l'été

— Rien qu'une fois j'aimerais faire autre chose que brouter de l'herbe. T'as jamais rêvé d'avoir une autre vie que celle d'un mouton, Albert ?

— Tu veux dire que tu veux changer de pâturage ?

— Non beaucoup plus que ça. Tous les jours, nous vivons la même journée. On se réveille, on sort de l'enclos, on broute, on regarde passer des randonneurs, on se rassemble quand on nous appelle. On obéit toute la journée. On est considérés comme des objets, marqués par un simple numéro. Surveillés. Exploités. C'est insupportable ! Ça me donne envie d'aller pleurer dans une botte de paille.

— Moi ça me plaît. Tu réfléchis trop Antonin. Je t'ai toujours dit que tu étais trop intelligent pour être heureux. Regarde le bon côté des choses. Nous avons des kilomètres de pâturage à brouter. Un enclos tout équipé. Et deux patous des Pyrénées qui nous protègent... ROOOM... Confort et sécurité... ROOM... ROOM... De quoi tu peux rêver de mieux ?

— Tu ne comprends rien et puis arrête de ruminer la bouche pleine. De toute façon, je ne peux pas parler avec quelqu'un qui a pour simple devise dans la vie : « J'ai trop la dalle ».

— En plus aujourd'hui, le nouveau groupe de brebis arrive pour la saison. Y'aura peut-être des nanas bien roulées dans le lot qui te feront changer d'avis.

— C'est vrai, j'avais oublié ! C'est chaque année pareil ! À quelle heure elles arrivent ?

TUT TUT.

— Le CAMIOOOOOOON est là !!!!!!! Préparez-vous ! Tout se joue dès la première impression.

C'est reparti pour un été en estive où on va rejouer la même comédie. Patxi le berger vient de se garer devant sa cabane. Et moi, je vais me précipiter dans la mangeoire pour me nettoyer un peu, puis je vais me rouler dans les lavandes pour repousser les parasites et attirer la femelle.

Voilà qu'elles descendent toutes du camion en roulant des yeux. Et c'est le début du spectacle. Avec Albert et Dédé mes camarades béliers, on est prêts pour la parade. Et c'est chacun pour soi. Dès qu'une brebis nous plaît, on tente notre chance. Albert commence : « Bonjour ma belle ! Si tu veux savoir pourquoi je te suis, c'est parce que mon père m'a toujours dit de poursuivre mes rêves ». Dédé a plus des phrases dans le genre : « Si un jour ton cœur ne bat plus, je te donnerai le mien, car sans toi, il ne me sert à rien ».

À cet instant, une brebis magnifique descend la rampe du camion avec une grâce infinie. Mon cœur joue du tambour. C'est l'heure de faire jouer mon côté rassurant : « Bonjour princesse. Pas mal les frisettes, tu ne dois sûrement pas parler aux inconnus ? Donc, je me présente. Je suis Antonin et les gens disent que je suis très malin. Bienvenue chez moi. Si tu as le moindre souci, viens me voir !

— Pauvre naze ! répond la brebis. Si j'ai un souci, je vais pouvoir aller me brosser avec toi. C'est écrit sur ta tête que t'es un peureux et un beau parleur.

— Hein ?

— La seule chance que je flirte avec toi un jour, c'est qu'il y ait une guerre atomique qui rase toute forme de vie sur Terre à part toi et moi. Et là peut-être éventuellement... il pourra se passer quelque chose entre nous...

— Alors j'ai une petite chance... Je le savais...

— Ou alors ! Y'a une autre solution... peut-être plus facile, ajoute-t-elle.

— Laquelle ?

— Que tu me décroches la lune. Alors je tomberai immédiatement amoureuse. »

La lune. Pourquoi pas !


2. Le plan

— Dédé ??? Dédé ??????

En plein cœur de la nuit, à l'heure où la lune brille comme un phare qui éclaire le chemin de mes rêves, je cherche mon ami Dédé. Celui qui pourra m'aider à réaliser mon projet. ROOMMM, ROOMMM... Tiens le voilà.

— Dédé ?

— ROOM, ROOM, j'adore ces fleurs de bruyère.

— Est-ce que je peux te parler ?

— Qu'est-ce qu'il t'arrive mon pote ?

— J'ai besoin de toi pour une aventure très importante. Tu sais que j'ai toujours trouvé que t'étais le bélier le plus intelligent de toute la région depuis que tu as trouvé comment défriser nos poils avec le pot d'échappement du camion.

— Cette découverte était un pur hasard comme l'invention du pop-corn. Mais continue... ça me plaît ce que tu racontes.

— J'aimerais aller sur la lune.

— PLARF, répond Dédé en recrachant ses fleurs. Oublie ça ! Beaucoup de moutons ont déjà tenté et jamais aucun n'a pu réussir. C'est de la pure folie. Et même si tu arrives à atteindre la lune, je ne vais pas te faire un dessin de ce que t'y trouveras.

— Quoi ?

— Des créatures toutes plus dangereuses les unes que les autres ! Tu tournes du chapeau mon pote. Crois-moi ce n'est pas la place d'un mouton.

— Aide-moi s'il-te-plaît !

— Je parie que c'est pour séduire Marguerite, la nouvelle reine du troupeau. Tout le monde est fou d'elle. Même les patous sont sur le dossier.

— C'est exactement ça !

— Tu marques un point Antonin, moi aussi j'ai été jeune et fou d'amour pour une belle brebis. Ok on va construire un engin pour toucher la lune. J'ai réfléchi à cette idée depuis des années et tu me donnes l'occasion de réaliser ce qu'aucun n'a jamais réussi. Rejoins-moi dans deux heures près de la cabane de Patxi. À toute à l'heure. ROOM... ROOMMM... je ne veux pas partir comme un voleur avant d'avoir avalé tout ça. »

À l'heure du rendez-vous, rien. Où est Dédé ? Ce n’est peut-être pas une super bonne idée tout ça. Qu'est-ce que je fais là ? Seul. Je commence à flipper grave. Tout peut arriver ! Un ours. Un troupeau de loups. Un chien errant. Et sans les autres pour me planquer, qu'est-ce que je vais faire ? Marguerite a peut-être raison. Je suis simplement un peureux.

« PSSSSSS !!!! »

AAAHHHH... un OUUURRSSSS...

— Antonin c'est moi !... Dédé.

— Tu m'as fait peur ! T'as vu l'heure ?

— Je sais, je suis un peu en retard mais j'ai planché sur « LE PLAN » toute la nuit. Et j'ai trouvé !!!

Il déroule alors une énorme bandelette de papier griffonnée de mille dessins et annotations.

— Voici l'invention ! déclare Dédé rempli de satisfaction.

Une heure plus tard. C'est le petit matin. Et j'ai les neurones qui vont exploser.

« Allez, répète une dernière fois ! dit Dédé à bout de nerf et de fatigue.

— OK. Donc j'enfile la machine à traire sur mon dos comme réacteur. Puis comme carburant, j'utilise la méthanisation des vaches. J'attends avec ce briquet près du popotin d'une vache et quand elle pète j'allume la flamme, ce qui provoque une explosion qui me propulse directement dans l'espace par réaction. Action/réaction. Ce plan est infaillible. »


3. Ici tour de contrôle

Ça fait un moment que je me tiens prêt pour le décollage. Lunettes de pilote vissées sur le museau, réacteur sur le dos, et radio dans la poche. « T'es sûr que ce n’est pas du vol d'avoir pris tout ça à Patxi ?

— Je n’ai jamais dit ça, répond Dédé. En tout cas n'éteins jamais cette radio. C'est la ligne de vie qui te raccrochera à la Terre. Sans elle, je ne pourrai plus t'aider, tu seras perdu dans le vide sidéral. Et maintenant rapproche-toi du popotin de cette vache… Non encore plus près... et prépare-toi à allumer ton briquet. »

Ma tête est face à fesse avec une grosse blonde d'Aquitaine en train de ruminer.

— Dédé, t'es certain que l'explosion ne va pas m'arracher une patte ? ça a l'air dangereux quand même.

— Il faut que tu me fasses confiance Antonin. T'inquiète ! C'est totalement sans danger. Par contre t'as pas une idée de comment faire péter cette vache ?

— Bien sûr, j'ai passé un doctorat sur les flatulences des vaches... Qu'est-ce que j'en sais ! Fais quelque chose... Ça fait deux heures que je suis dans cette position.

— Du calme Antonin. Je vais essayer de détendre cette vache par une petite danse que j'ai apprise. Histoire qu'elle se lâche un peu.

À cet instant, Dédé se lance dans des pas de danse ridicules devant le museau de la vache.

— Elle a l'air d'aimer. Ça s'appelle du calypso ! fredonne-t-il. J'ai appris cette danse dans une ferme à Trinidad et Tobago.

— Oh non, ce n’est pas possible, mais qu'est-ce que je fais là ?

— Écoute ! crie Dédé.

Un bruit de tuyau débouché nous parvient aux oreilles. Et d'un coup, un énorme coup de tonnerre bien gras me perfore les tympans. « PROOOOOOUUUUUT »…

J'ai à peine le temps de tourner la molette du briquet, qu'une explosion me propulse très haut dans le ciel dans un souffle terrible.

En tournant mes yeux vers le sol, je vois Dédé qui paraît tout petit en train d'agiter les bras. Puis la radio grésille dans ma poche.

— « Ici Cap canard-viral ! Antonin vous me recevez ?

— Dédé c'est toi ? Pourquoi tu parles comme ça ?

— Ouiiiii... Bien vu l'aveugle ! C'est moi. Ah c'est dégueu ! C'était un pet foireux et je suis couvert de bouse de vache de la tête aux pieds. Qu'est-ce que tu vois ?

— Du noir, tout est noir ! Je crois que je suis dans l'espace.

— T'es sûr que t'as pas les yeux fermés ? demande Dédé.

— Ah oui... autant pour moi ! »

En levant les paupières, je me rends compte que je flotte au-dessus des nuages dans le bleu du ciel. Je survole un monde en miniature. Tout est merveilleux ici. Quand tout à coup la radio se remet à grésiller. « Ici tour de contrôle. J'ai perdu le signal ». J'appuie sur le bouton : « J'écoute tour de contrôle.

— Antonin ???

— Oui, reçu 5 sur 5.

— Je t'ai déjà dit de n'éteindre sous aucun prétexte cette radio.

— Je n'y peux rien, il y a des coupures. Je dois être déjà loin. Et je crois bien que je suis en train d'atterrir.

— C'est vrai ? Qu'est-ce que tu vois ?

— Un grand mur rempli de briques qui se rapproche.

— Oups, je n’aimerais pas être à ta place.

— AAHHHHHHHH !!! »

BOOOUUUUM.